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L’Évangile parle-t-il d’économie et de finance ?


 La finance, qui a un rôle essentiel dans l’économie, requiert une régulation collective et une orientation morale de ceux qui en sont responsables. Sur la base des Évangiles et de la doctrine sociale de l’Église, les chrétiens devraient jouer un rôle central dans cette réflexion et cette pratique.

Contrairement à ce que l’on pense souvent, l’Évangile parle d’économie et de de finances, et utilise abondamment la réalité économique et financière. En fait, Jésus est le seul « fondateur de religion » qui utilise abondamment le langage économique pour expliquer et figurer des réalités spirituelles. C’est très parlant dans toute société, où l’on exerce des activités économiques, car cela se réfère à des réalités de tous les jours (échanges de biens et des services, prévision budgétaire, calculs de prix, problèmes de dettes, rapport à l’argent, etc.) 

Ceci se retrouve par exemple dans la parabole des talents, qui parle de faire fructifier l’argent, et où le maître reproche à celui qui avait reçu un seul talent de ne pas l’avoir fait fructifier, pour le donner à celui qui avait reçu dix talents et qui les avait fait fructifier. Bien entendu, cela ne veut pas dire que le message évangélique soit purement économique et financier, tout au contraire. Mais le Christ, seul de toutes les religions, utilise fréquemment le langage de l’économie et de la finance pour transmettre des vérités ; même si celles-ci sont essentiellement d’ordre spirituel, cela nous dit quelque chose sur ces réalités. Ce qui n’est pas étonnant dans une religion de l’Incarnation.

Sur la base d’un raisonnement économique, on nous recommande donc d’investir dans le trésor spirituel, qui nous offre un horizon infiniment plus grand.

L’Évangile s’appuie sur des raisonnements économiques

Lorsqu’on doit analyser les finances ou l’économie en suivant la Parole de Dieu, il faut distinguer deux niveaux. Le premier est celui de la vie naturelle et le second celui de la vie spirituelle. Les paraboles utilisent le premier niveau et lui donnent par là une certaine validité, souvent de simple bon sens. Ainsi, quand elles expliquent qu’il faut calculer pour bâtir une tour, ou mettent en scène celui qui achète, pas cher, un champ, car il a l’information privilégiée qu’il contient un trésor. Mais elles dépassent vite ce niveau pour introduire un autre facteur, infini, celui de la vie éternelle. Ce qui change la conclusion du même raisonnement économique : le vrai trésor est alors ce facteur infini, par-là infiniment préférable à tout trésor matériel.

Si donc nous introduisons ce facteur spirituel dans notre vie économique, nous changeons notre attitude. Plus précisément, les trésors naturels sont périssables et temporaires, tandis que les trésors spirituels sont impérissables et infinis (la vie éternelle qui se construit chaque jour en nous). Sur la base d’un raisonnement économique, on nous recommande donc d’investir dans le trésor spirituel, qui nous offre un horizon infiniment plus grand. De façon analogue, il nous est dit : si vous donnez à un riche, le riche vous le rendra, c’est-à-dire que l’opération est blanche ; mais lorsque que vous prêtez à un pauvre, il ne pourra pas vous le rendre, et c’est Dieu qui vous le rendra et Il vous rendra au centuple. Et donc, en un sens, vous faites une bonne opération en prêtant à un pauvre

Une conception élaborée de l’économie

Sur cette base, s’est élaborée une conception poussée de l’économie, toujours insérée dans un souci moral et spirituel.Quand on considère les affaires d’argent et d’économie, il faut le faire à deux niveaux : le niveau naturel (y compris le calcul financier), mais en l’insérant sous le niveau spirituel, dont l’horizon est infiniment plus large. Ce double niveau est sous-jacent à la perception de la vie économique en général et de la vie financière en particulier, dans toute l’histoire de l’Église. Il y a eu en effet dans toute ses grandes périodes de développement doctrinal une attention particulière aux réalités économiques et financières, comprenant à la fois un effort de compréhension fine de ces réalités, et une critique sévère de ce qui en elles s’oppose à la perspective spirituelle, et notamment à la charité ou à la justice.

Ceci a été particulièrement élaboré par l’Église médiévale. Les théologiens et les moralistes de l’époque ont réfléchi à la moralité de la vie économique alors en pleine renaissance, et ont élaboré une perception très avancée de l’économie. C’est sur cette base qu’a pu naître l’économie politique à la fin du XVIIIsiècle. Ces principes trouvent leurs racines dans les Évangiles ; ils ne sont pas développés de cette manière dans d’autres religions, et notamment de façon comparable à ce qu’ont fait les médiévaux (on mettra à part l’islam, qui a une approche différente, juridique, de la question). Ces médiévaux voyaient sous leurs yeux le développement de l’économie et de la finance, naissantes à leur époque. Il ne faut pas oublier que le vocabulaire de départ de la banque et de finance est fait de mots italiens, du fait que ces activités ont trouvé leur origine chez des Italiens, catholiques. Cette perspective comporte une analyse purement technique de l’économie et de la finance, mais au service d’une orientation morale.

D’un côté, ils avaient reconnu que le jugement moral suppose une analyse en profondeur de la réalité à laquelle il s’applique. Mais d’un autre côté, ils visaient à ne pas développer l’économie et la finance uniquement sous un angle technique, mais en la comprenant comme conduite par la morale. Ce sera un point d’opposition permanent entre la doctrine socio-économique de l’Église et la doctrine économique courante. Pour l’Église, l’homme est fondamentalement un être moral et spirituel, et donc ce qu’on fait dans le domaine économique doit prendre en compte toutes les dimensions de l’homme.

La condamnation de l’usure

Ceci a conduit nos médiévaux à une remarquable analyse des réalités de base de la vie économique, par exemple le marché et la formation des prix. Le seul point technique où leur analyse s’écarte des modernes, c’est la condamnation du taux d’intérêt. Ce que dans le langage médiéval on appelle usure, c’est le taux d’intérêt, perçu à l’occasion d’un prêt. Investir en achetant des parts dans une société n’a jamais posé de problème moral en soi. En revanche, l’idée que l’argent produit quelque chose de lui-même, l’intérêt, a posé un problème. L’idée de l’époque était que l’argent en tant que tel ne peut rien produire et qu’il était consommé dans l’opération, comme lorsqu’on prête un pain ; on en déduisait que, quand on prête, on ne devrait pas recevoir de rémunération. Et donc l’intérêt était en principe interdit. Cette conception était fortement relativisée dans la pratique. Notamment, on admettait une rémunération lorsque le prêteur perdait de ce fait un gain identifié (ce qu’on appelait lucrum cessans), ou encourait un dommage (damnum emergens), ou prenait un risque (periculum sortis), etc. Mais on n’a pas eu de changement théorique du principe, sauf à partir d’une période relativement récente, au XIXe siècle.

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